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révolution technique et scientifique
3 février 2021

Tesla et SpaceX : une bulle spéculative permettant l’accumulation du capital productif

orage

Tesla et SpaceX : une bulle spéculative permettant l’accumulation du capital productif

Cet article prend la suite d’Analyse marxiste de la capitalisation boursière – Etude des GAFAM, NATU et BATX et peut être considéré comme la partie 2bis de notre série : Entre pandémie et taux de profit. Il se veut être une mise en exemple à travers les entreprises Tesla et SpaceX des thèses avancées dans l’article précédent. Pour plus de détails et de précision sur les termes qui sont employés dans le présent texte, nous enjoignons vivement le lecteur à s’y reporter.

 

Tesla est un des exemples les plus parlant pour décrire une entreprise productive dont l’existence a été rendue possible presque exclusivement grâce à la profusion de capital fictif. Créée en 2003 et entrée en bourse en 2010, ce fabriquant de voitures électriques s’est récemment imposé sur le marché automobile à la fois grâce à ses avancées technologiques, sa communication audacieuse, mais surtout grâce à l’envol de son titre boursier. La spéculation financière sur ses actions lui permet aujourd’hui de produire des voitures électriques dernier cri, des bornes de chargement rapide, des batteries ultraperformantes ou encore des voitures avec pilotage automatique. Elle a également permis indirectement à une autre société sœur (SpaceX) de produire des fusées réutilisables, d’envoyer des hommes dans l’Espace et bientôt sur la Lune et Mars.

Ce qui surprend le plus lorsqu’on regarde les chiffres de l’entreprise Tesla, c’est qu’elle a la particularité de se trouver systématiquement en déficit chaque année depuis 2008. Plus de 4,6 milliards de dollars de pertes cumulées au cours de ces 11 dernières années d’exploitation[1]. Pourtant, même sans jamais avoir généré de profit, Tesla a réalisé la prouesse de faire passer sa capitalisation boursière de 1,6 milliards de $ en 2010, à plus de 560 milliards en décembre 2020. Malgré un nombre relativement faible de véhicules produits par an, Tesla est aujourd’hui l’entreprise automobile la plus importante du monde en termes de capitaux.

Cette entreprise semble avant tout s’être construite sur la confiance qu’elle parvient à susciter chez ses investisseurs. C’est cet afflux de capitaux fictifs autorisé par l’engouement financier qu’elle a généré qui lui a permis d’investir dans des capitaux productifs et de développer son activité réelle. Pour dégager des fonds lui permettant d’investir ou de se porter acquéreuse d’autres entreprises lors de fusions-acquisitions, Tesla a eu très largement recours à la planche à actions. Depuis son entrée en bourse, cette entreprise n’a cessé d’émettre de manière quasi-ininterrompue de nouveaux titres pour financer sa recherche, ses acquisitions ou ses constructions d’usines. Ainsi le nombre d’actions Tesla en circulation est passé de 250 millions en 2010 à plus de 1,1 milliard fin 2020. Pourtant, comme nous le montre le graphique, aucune de ces recapitalisations n’a fait chuter le cours de l’action Tesla en bourse qui n’a fait que croitre lui aussi de manière quasi-ininterrompue depuis 2010. De son côté, Tesla a utilisé les fonds débloqués par la vente de ces actions nouvellement créées pour investir dans son capital. Son capital constant a ainsi été multiplié par 260 en 10 ans passant de 130 millions de dollars en 2009 à plus de 34 milliards de dollars en 2019. Le tout en ne faisant pas un seul dollar de bénéfice sur cette même période. Elle a également eu recours à de nombreuses fusions-acquisitions de sociétés plus modestes qu’elle a intégré à son capital. La plupart étant restées secrètes, il est difficile d’en connaitre le nombre exact. Pour se donner une idée, lors de l’acquisition de la société Maxwell Tech (société spécialisée dans les supercondensateurs) en 2009, Tesla a avoué avoir dépensé plus de 315 millions de dollars sur l’année pour financer ses fusions[2].

SpaceX : la capitalisation des étoiles au profit de l’électricité

Si SpaceX est une entreprise séparée de Tesla, elle reste intrinsèquement liée à cette dernière. SpaceX est une entreprise privée qui n’est pas encore cotée en bourse. Ses pertes d’exploitation colossales dues aux investissements nécessaires à l’exploration spatiale rendraient son entrée sur le marché financier plutôt hasardeux pour l’instant. En effet, elle ne possédait jusqu’à récemment[3] presque aucun moyen de réaliser des profits immédiats, sa seule possibilité de rentrée d’argent se basant sur l’éventualité de l’essor du tourisme spatial dans un futur proche. Sans rendement possible, une entrée en bourse de cette société aurait pu s’avérer catastrophique, entraînant la dévalorisation de son capital. Cette réalité nous démontre l’importance que revêtent toujours les profits réels pour le capitalisme et ce, même si le capital fictif domine l’économie.

Ne pouvant investir directement dans le capital de SpaceX, l’engouement des investisseurs à propos de la marchandisation de l’espace s’est principalement reporté sur celui de l’entreprise Tesla. Pourtant simple constructeur automobile, Tesla n’a proprement aucun lien avec l’exploration spatiale. Les deux entreprises ont seulement la particularité de partager le même actionnaire majoritaire.

Les investissements colossaux nécessaires à la recherche et au développement de ce type d’industries n’ont été rendu possible que grâce au financement apporté par la bulle spéculative qu’elle a générée. En effet, ce système semble être le seul actuellement en capacité de permettre de tels investissements dans la recherche, ce qui auparavant était l’apanage des Etat les plus riches de la planète.

C’est également l’explosion de la valeur boursière de Tesla qui a permis à SpaceX son développement. L’importance capitalistique que constituait cette jeune firme automobile a permis à SpaceX d’obtenir des financements, des contrats de sous-traitance étatique et surtout de garantir les emprunts nécessaires à son investissement. Demander à sa banque un emprunt de plusieurs milliards de dollars pour créer un lanceur de fusée réutilisable dans le but d’aller sur la Lune ou Mars semble moins fou lorsqu’on est l’actionnaire majoritaire d’une entreprise pesant plus de 500 milliards de dollars.

Un processus d’accumulation centré sur la captation du capital fictif

Dès lors, on comprend aisément que la raison d’être de Tesla consiste plus à rassurer ses investisseurs qu’à se préoccuper de son déficit annuel. Pour cette entreprise automobile, augmenter le nombre de véhicules qu’elle produit par an, multiplier les annonces de nouveautés ou encore les lancements SpaceX est devenu un enjeu plus central encore que celui de son taux de profit ou chiffre d’affaire. Ces statistiques visent à rassurer les actionnaires sur la viabilité du plan de développement de l’entreprise sur plusieurs années.

Le but est d’entretenir l’idée qu’un retour sur investissement est possible et non qu’il ait réellement lieu ; car Tesla ne possédera probablement jamais de taux de profit élevé. Les investisseurs le savent mais cela importe peu ; l’entreprise se positionne sur de nouveaux marchés potentiels. L’enjeu central reste l’augmentation de sa capitalisation boursière et pour cela, les indicateurs statistiques de bonne santé de l’entreprise jouent un rôle bien plus déterminant que le profit réel ou même l’anticipation d’un profit futur (Cf. Chapitre 2 de Gestion pandémique : Rentabilité statistique à paraitre sur ce site). Par exemple, le but principal de Tesla pour l’année 2020 était d’obtenir une augmentation de sa capitalisation boursière suffisante pour intégrer l’indice boursier Standard and Poor 500, lui permettant ainsi de capter encore plus d’investissements. But finalement atteint le 15 novembre de l’année 2020. Intégrer un indice boursier aussi important a permis à cette action d’être automatiquement incorporée dans de multiples produits financiers. L’action Tesla se retrouve aujourd’hui dans de nombreux portefeuilles d’actions, ETF (Exchange-Traded Fund) ou encore de simples assurances vies ou fonds de pension de retraites. Ce basculement a permis à la capitalisation boursière de l’entreprise de croître de plus de 150 milliards en moins de deux semaines.

Tesla concentre donc son activité principalement autour de la possibilité de capter un maximum de capital fictif. Néanmoins, au sein de cette profusion de capital financier permettant la production, le profit continue à jouer un rôle essentiel. En effet, c’est avant tout le fait que Tesla soit parvenu pour la première fois de son histoire à dégager des bénéfices durant quatre trimestres d’affilée qui lui a permis d’intégrer le S&P 500. Par contre et c’est là un changement crucial récent dans le fonctionnement du capitalisme contemporain, il n’est plus nécessaire que ces profits soient réels puisqu’ils ne sont plus le centre du processus d’accumulation du capital. En effet, il n’est pas certain que Tesla ait réellement fait ces bénéfices, les chiffres semblent avoir été gonflés grâce à la revente de crédit carbone à d’autres entreprises. Tesla a par exemple revendu pour 478 millions de dollars de droits à polluer à Fiat lors du dernier trimestre 2020[4]. Une somme bien supérieure à son bénéfice final. Les marchés le savent mais cela importe peu, le titre continue de grimper. Les profits d’entreprises demeurent fondamentaux pour l’accumulation capitaliste, mais seulement sous leur forme statistique, ils n’ont plus besoin d’être réels. 

La capitalisation boursière de Tesla possède tous les aspects de la bulle spéculative dans son processus et il y a fort à parier que le cours de son action risque de subir une forte dévalorisation dans les mois ou les années à venir. Pour autant, ce serait une erreur d’invisibiliser les conséquences de cet afflux de capitaux sur la production réelle. C’est elle qui a entièrement permis à cette entreprise de développer les moyens de production qu’elle possède aujourd’hui. Et même si demain l’action Tesla chute brutalement jusqu’à atteindre un niveau qui correspond mieux à sa valeur réelle, le capital constant et le capital variable qu’elle est parvenue à accumuler grâce à sa capitalisation boursière continuera de lui appartenir.

En résumé, on constate que même dans un cas aussi caricatural que celui de l’entreprise Tesla :

1) Le capitalisme financier, même sous forme de bulle spéculative, permet le développement du capitalisme productif. L’un ne peut plus être disjoint de l’autre.

2) Malgré la spéculation, l’investissement n’est pas totalement déconnecté de l’anticipation sur de futurs profits et ne se limite pas à un effet d’autoentrainement.

3) Le capitalisme financier et les bulles spéculatives permettent l’investissement nécessaire à la colonisation par la marchandise de nouveaux secteurs et à la création de nouveaux marchés[5].

4) La captation des capitaux financiers et l’augmentation de la capitalisation boursière d’une entreprise sont devenus des enjeux centraux pour la majorité des entreprises cotées

5) Le profit se réduit alors à un critère statistique permettant la captation de capitaux fictifs.

Dans notre prochain épisode nous plongerons dans le taux de profit des GAFAM et son lien avec leurs capitalisation boursière ainsi que les plans de relance étatiques.  Sortie prévue Mardi 22 décembre

Benjamin Lalbat pour l’orage.org

[1] Chiffres Macrotrends.net.

[2] Maxwell tech a couté 218m auquel il faut ajouter les 96m de « diverses acquisitions » entre janvier et septembre 2091 : https://electrek.co/2019/10/29/tesla-acquisitions-worth-96-million/

[3] Les contrats de mission pour la NASA ainsi que la mise en place du réseau Starlink permettant potentiellement de transformer le ciel nocturne en panneau publicitaire, ont permis récemment à SpaceX d’envisager d’autre possibilité de rentrée de liquidités, mais cela reste insuffisant actuellement pour une entrée en bourse.

[4] https://www.tradingsat.com/tesla-inc-US88160R1014/actualites/tesla-inc-que-cachent-les-resultats-de-tesla-923549.html

[5] Ce dernier phénomène n’est là encore pas nouveau et peut être comparé, toute proportion gardée, au financement dont a bénéficié la première multinationale cotée en bourse de l’histoire : la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC). La spéculation et l’échange d’action se faisait alors en anticipant les gains sur les cargaisons d’épices des vaisseaux revenant des indes néerlandaises (Indonésie). Le même phénomène est à l’œuvre dans les Indes anglaises du XIXe et est abordé par Engels dans une note du Livre III du Capital p.1724.

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